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PAYSAGES 

 

Vacance de l’esprit, tentation du repos, voyage immobile, 

illusion fugitive de l’enracinement, sentiment d’appartenance 

à des espaces apprivoisés... 

Je baisse la garde.  

Je ruse, je laisse les gestes tracer sur la toile une cartographie dont j’arpente les moindres recoins !

Je m’abîme dans ces territoires connus ; en douceur.

Sous ces nuées, au détour d’une combe aux corbeaux bordée de presles, au flanc des vallées d’altitude des Pottokaks, talus, grottes, bauges, monts boisés, roches rouges, ravins enneigés... jouent la musique apaisante d’une mémoire en lambeaux. 

Le piège fonctionne, mais l’essence de l’homme, le Drame,  a déserté ces paysages. 

Sans renoncer à l’escapade je dois retrouver le rugueux de la vie.

Et ne rien cacher !

Je vois bien où conduit l’envie d’enclore la nature, 

de parler aux oiseaux... en langage vernaculaire bien entendu ! 

Sur ces chemins, certain d’y être seul, j’y dépose des cailloux blancs;  je balise le sentier au fil du temps métronomique, cailloux noirs de jais alternés.

Attirance du double, fascination du contraire. 

Au delà du miroir je dois retrouver l’espace du Drame. 

De toute urgence.

Capter l’œil ; passez outre la douceur ! 

 

Déposer des mots sur des images ? 

Quelle drôle d’idée. 

Tableau en vue ! 

À distance le regard le saisit dans l’instant. 

À ce moment précis, seul le mot “tableau“  émerge, pas encore une idée, pas encore une pensée ; puis un afflux de mots impossibles à endiguer : ça pédale dur dans les avant-postes du cortex.

On s’approche, on scrute. 

Des vocables font irruption dans la caboche, dans le désordre. 

Tout y passe, couleurs, jurons extatiques, superlatifs... 

Encore quelques instants d’hésitation, froncement de sourcils,

ça bute encore sur des ombres, sur des formes non identifiables, 

on contourne les obstacles, et soudain: 

un pas en arrière, des fragments identifiés, dénombrés, nommés s’assemblent ! 

Alors là, les mots se changent en miel, le visage s’éclaire, sourire béat : 

on a reconnu, dans cette peinture, un morceau de soi. 

Du plus profond de la boîte crânienne affluent les contrepoints, les références ; 

tout l’appareil critique en stock, prêt à l’emploi, prend en charge le tableau ; 

des connexions réveillent d’autres images, induisent des commentaires, reconstruisent l’œuvre dans sa totalité.

Nommer, nommer, s’approprier la peinture, avec nos  mots propres 

(ou la rejeter, le miel et le sourire en moins.)

 

Il y a ce me semble, plusieurs façons d’accoupler mots et images, l’une est d’appréhender la toile avec une boÎte à outil adaptée, pleine de concepts, de théories, qui vont ordonner le discours : lignes, surfaces et couleurs, agencées sur un plan seront disséquées et mises en perspective dans l’œuvre du peintre.

Après avoir nommé le genre dans lequel s’inscrit cette réalisation, façon élégante de situer le locuteur dans une chaîne critique autorisée, on devra s’attacher à trouver la logique interne du tableau, à mettre en évidence les signes emblématiques de l’artiste, en trouver le sens caché, bien entendu caché... 

traquer les gestes récurrents, les formes obsessionnelles, les références évidentes 

ou pas, trouver le premier geste qui induit tous les autres, donc tous les choix, imaginer celui qui, différent, tracé en un autre endroit de la toile, eut tout changé. À ce moment-là, connivence oblige, il sera bienvenu, bien vu, de glisser quelques mots échappés au peintre pourtant d’ordinaire peu bavard : « mémoire, énergie, lumière, matière, mouvement… »

Aurait mieux fait de se taire ce jour-là !

Et l’affaire sera bouclée.

Une autre façon d’accompagner le lecteur - spectateur dans cette balade au long cours de la peinture, est d’évoquer la vie du peintre, son histoire, le regard qu’il porte sur le monde, ce qui est censé nourrir sa peinture. 

Mais là, le fond se dérobe à l’écrivain.

Le récit qui traduit l’intrication de la vie et des œuvres, seul, ce me semble, le peintre peut en être l’auteur.

Mais la forme du discours, de mon discours, doit se situer au même niveau que la force qui organise mes images. 

Les mots deviennent alors des signes, les phrases des vers. 

Des pans d’histoire surgissent alors dans les vides blafards, la mémoire perdue griffe le plan satiné du papier, les fantômes sidérés de douleur racontent les révoltes, la douceur perdue,  la stupeur devant l’incommunicable. 

L’apaisement, l’amour,  surgissent au détour d’un vermillon parcimonieux, le Drame s’inscrit dans le cercle d’une arène vide. 

Les mots ne conduisent pas à l’image, ils cheminent de conserve, comme Jacques et son maître, ils devisent.

Cela n’interdit pas à d’autres de déposer des vers sur ma musique.

Michel Politzer 2016

                       

 

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